Lettres de Gwalarn
Gwalarn* un manifeste, une revue pour une nouvelle littérature bretonne.
Par Fañch Le Henaff
En 1925, la naissance de la revue littéraire Gwalarn est une étape décisive dans le renouveau artistique qui marque cette période des années 1920 en Bretagne. Elle est née de la volonté de l’écrivain et linguiste Roparz Hemon (1900-1978) qui décide de doter la langue bretonne d’une écriture unifiée et dans son prolongement, de valoriser, de promouvoir une littérature moderne et ouverte sur le monde. Roparz Hemon sera le traducteur de grandes œuvres littéraires de Shaekspeare, Cervantez ou encore Tchekov. Il déclare comme postulat : “J’aimerais voir la Bretagne aller sur les chemins du monde, doucement, à pied comme un pèlerin”.

Roparz Hemon. Dans les années 1960, enseignant-chercheur à l’Irish Institute for Advanced Studies, à Dublin (Irlande). Collection Tudual Huon
Le premier numéro paraît en mars 1925 par un cahier encarté dans la revue Breiz Atao qu’anime l’architecte Olier Mordrel (1901-1985). La manchette de Gwalarn se singularise visuellement par un titre au lettrage très géométrique, alternant aplats carrés et tracés filaires et par un second lettrage filaire en sous titre. La filiation graphique de Breiz Atao et Gwalarn est ainsi affirmée dans un esprit de modernité cher aux artistes du mouvement Ar Seiz Breur. Par ces lettres très atypiques les promoteurs de Gwalarn autour de Roparz Hemon (Youenn Drezen, Frañsez Vallée, Abeozen) entendent marquer les esprits et la perception de la nouvelle littérature qu’ils souhaitent développer.

Gwalarn n°1, mars 1925. Gwalarn n°162, février 1944. Collection Fañch Le Henaff
Dès l’introduction du manifeste de la revue Gwalarn, la dimension européenne s’affirme. «(…) Il importe de faire clairement connaître ce qu’est Gwalarn, quels sont ses buts, et à qui particulièrement il s’adresse. Gwalarn est avant tout quelque chose de neuf et d’unique : une revue littéraire, destinée à l’élite du public bretonnant, et dont l’ambition n’est rien moins que d’engager la littérature bretonne sur la voie que suit depuis longtemps la littérature de mainte petites nations : la Bohême, la Flandre, la Catalogne entre autres. (…) Pour la première fois, une revue bretonnante entreprendra méthodiquement de donner, à l’aide d’études et de traductions, une idée à ses lecteurs des littératures celtiques et étrangères, du présent et du passé. Pour la première fois, une revue bretonnante se présentera devant le public avec un programme, des conceptions esthétiques et philosophiques nettement assises.»
Plus loin, la revue revendique son soucis d’ouverture à son futur lectorat. «(…) Les colonnes de Gwalarn sont ouvertes à toutes les plumes, sans distinction de parti. L’adhésion à Gwalarn n’implique pas l’adhésion au nationalisme breton. La littérature peut être mise au service de la politique, mais elle n’en dépend pas essentiellement. Il y aura place dans notre revue littéraire pour l’idée bretonne ; il y aura place pour un art libre vis-à-vis de toute doctrine. Nous concevons qu’on puisse s’attacher au breton par pur patriotisme. Nous concevons aussi qu’on puisse le faire par pur sentiment esthétique.»

Gwalarn original et Gwalarn fin, par Fañch Le Henaff, octobre 2024
En 1927, deux ans après de son lancement, la revue qui a trouvé son autonomie et son lectorat, refait sa première de couverture avec un caractère de la famille des Didones, ce qui lui donne une connotation plus littéraire que la première manchette de 1925. Cette première composition de 1925 m’a inspiré la création de deux ensembles alphabétiques à partir des attributs géométriques du titre et du sous titre. Ces deux caractères prototypes que j’ai nommés Gwalarn original et Gwalarn fin. Je les teste dans mes travaux de recherches graphiques à l’image de ma carte de vœux de 2025 qui fait référence au centième anniversaire de la création de la revue littéraire Gwalarn, à celui de la création du Gwenn-ha-du, le drapeau breton (1925) et à un événement de tradition séculaire: la Troménie de Locronan qui s’est tenue en ce mois de juillet 2025.

Carte de vœux 2024, par Fañch Le Henaff
Quel sera le devenir de ce projet typographique Gwalarn original? Sa finalité n’est pas nécessairement une prochaine édition, il tend à démontrer que son potentiel existe et que la modernité exprimée au XXe siècle reste encore aujourd’hui source d’inspiration pour la création typographique en Bretagne. Plusieurs événements en cette année 2025 marqueront la création de Gwalarn, comme l’exposition 100 vloaz Gwalarn (100 ans de Gwalarn) présentée en mars à Brest au centre culturel Sked puis en octobre au Festival du Livre en Bretagne à Carhaix et à l’Institut culturel de Bretagne à Vannes.
* Gwalarn: Nord-ouest, Noroît.
Pour en savoir plus
• Michel Treguer - Gwalarn, in Arborigène occidental, éditions Mille et une nuits, 2004, p370-379. • Al Liamm n°471 juillet-août 2025, Gwalarn, Kant vloaz zo. • Gwalarn 100 vloaz 1925-2025. Kuzul ar brezhoneg/Kevre Breizh.